Longtemps perçues comme une curiosité sans avenir, les boissons sans alcool ou à faible teneur – regroupées sous l’appellation « no/low » – s’imposent aujourd’hui comme un laboratoire stratégique pour l’industrie des vins et spiritueux. Porté par de nouveaux usages, un rapport différent à la consommation et l’arrivée d’acteurs majeurs, ce segment discret change d’échelle.
Un marché encore petit mais en pleine ascension
Le sans-alcool ne pèse encore qu’une fraction du marché français des vins, spiritueux et bières – moins de 500 millions d’euros face à plus de 20 milliards pour l’ensemble du secteur. Mais la dynamique est réelle : après une envolée à deux chiffres pendant la période Covid, la croissance s’est stabilisée autour de 5 % par an, avec une accélération notable pour les spiritueux. Loin d’être une mode passagère, ce nouvel univers séduit un public large : près de 40 % des acheteurs ont entre 18 et 25 ans, mais une majorité de consommateurs associent toujours boissons alcoolisées et alternatives no/low selon les occasions.
La bière, pionnière de l’innovation
La première vague est venue de la bière. Dès les années 1960, des références faiblement alcoolisées apparaissaient, mais sans convaincre par leur goût. La véritable rupture s’est produite au milieu des années 2010 avec l’émergence de bières 0 %, souvent aromatisées. En grande distribution, ce segment dépasse désormais les 130 millions d’euros et progresse quatre fois plus vite que le marché global de la bière. Certaines marques iconiques y occupent une place prépondérante, preuve qu’une stratégie d’innovation bien menée peut transformer une niche en pilier commercial.
Spiritueux : des débuts prometteurs
Les spiritueux, longtemps absents de ce mouvement, se convertissent à leur tour. Les géants internationaux déclinent désormais leurs marques phares en version sans alcool. Gin, rhum ou vermouth “0.0” s’installent progressivement sur les étagères. Ces alternatives, souvent issues de plusieurs années de recherche, rencontrent un accueil favorable et témoignent d’un potentiel de croissance à deux chiffres pour les prochaines années.
Le vin, entre prudence et repositionnement
Plus conservatrice, la filière viticole avance avec retenue. Les procédés de désalcoolisation nécessitent des investissements lourds, difficilement accessibles pour les petites exploitations. Quelques pionniers, cependant, prennent position : des start-up spécialisées, des maisons traditionnelles en quête de diversification, et même certains groupes internationaux. LVMH a par exemple investi dans French Bloom, maison d’effervescents sans alcool premium, aujourd’hui distribuée dans une cinquantaine de pays.
Premiumisation et nouveaux codes
Pour compenser les coûts élevés et se distinguer, la plupart des acteurs privilégient un positionnement haut de gamme. Les consommateurs, sensibles à la qualité et à l’expérience, acceptent de payer davantage dès lors que le produit tient ses promesses. Cette stratégie aligne l’offre sans alcool sur les codes du luxe et de l’art de vivre contemporain. La création en 2026 d’un espace dédié au sans alcool au salon Wine Paris confirme la reconnaissance d’un marché qui n’est plus marginal mais stratégique.
Une nouvelle manière de célébrer
Le no/low traduit une mutation culturelle : boire moins n’est plus synonyme de renoncer, mais de choisir. Derrière l’effervescence de ce segment se dessine une redéfinition de la convivialité, où l’expérience prime sur le degré d’alcool. Pour les industriels comme pour les consommateurs, c’est une révolution silencieuse, mais bien réelle.


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